samedi 23 novembre 2013

Anton & Quentin font de la musique : une histoire rencontrée sur un trottoir à Bruxelles

Hier soir, j’ai regardé le film « Le soliste ».

Ce film m’a rappelé une rencontre, rencontre qui eut lieu à St Gilles, à Bruxelles, en 2008.

C’était un samedi ensoleillé, un de ces samedi où la foule avait envahi les terrasses, les rayons, l’air et la lumière.

Alors que je marchais, j’ai vu un homme posé sur le sol, avec sa guitare. Il m’a regardé, m’a souri, et m’a demandé une cigarette. 

Je lui ai dit que je ne fumais pas. J’aimais bien son sourire. C’était le genre de sourire qui avait une histoire à raconter.

J’ai remonté la rue jusqu’à la librairie, j’ai acheté un paquet de clopes, je suis retourné auprès de lui, et je me suis assis, sur le sol.

J’ai été éduqué, comme tout le monde. On m’a enseigné que l’accomplissement de la vie était l’ascension sociale, financière et intellectuelle, qui conduisait ensuite à la liberté.

Bien que sincèrement enseigné, ce point de vue est totalement faux. Ceux qui sont réellement libres, ce sont ceux qui sont prêt à perdre tout ce qu’ils ont. Ceux qui sont réellement libres, ce sont ceux qui sont assis dans les rue, sur le sol, ces êtres invisibles que l’on n’ose pas regarder, que l’on évite ; des hommes et des femmes libres de nous observer, de rire, de voir la vie et le temps sous un angle qui nous échappe totalement.

Notre discussion n’a pas démarré avant dix bonnes minutes ; j’avais acheté des cigarettes mais pas de briquet. C’était étonnant de voir comme il peut être difficile d’obtenir une simple flamme, lorsque l’on est au niveau d’un trottoir.

La cigarette allumée, Anton livra son histoire.

Anton avait un frère nommé Quentin. Quentin est ce que nous appellerions un handicapé mental ; Anton préféra me dire qu’il grandissait à la vitesse qu’il a choisie.

Leur parent avait choisi pour Quentin ce qu’Anton appelait l’infantilisation médicamenteuse. Pour Anton c’était la solution facile, égoïste, sans possibilité d’évolution. Quentin était coupé du monde pas un nuage de vapeur médicamenteuse qui lui rendait impossible l’accès à la mémoire, aux souvenirs, et de ce fait l’accès à l’apprentissage.

Placé dans un centre adapté, Quentin végétait.

Anton me raconta son combat contre ce centre et contre ces parents, qui le jetèrent à la rue face à ses demandes incessantes ; la reconnaissance du droit de son frère à vivre parmi eux, le droit de son frère au libre arbitre, le droit de son frère à la vie privée.

Les fenêtres des dortoirs de ce centre étaient couvertes de planches. Quentin cherchait sans cesse une fêlure pour laisser entrer la lumière dans sa chambre. Quentin était presque aveugle et l’absence de lumière naturelle était une accentuation douloureuse de sa cécité partielle, qui devenait ainsi perpétuelle. 

Dans ma mémoire, l’absence de lumière fut le déclencheur de la révolution d’Anton. Sans doute que je me trompe, sans doute est-ce faux, c’était il y a si longtemps.

Anton se battit pour le droit à la lumière de son frère presque aveugle.

Anton se battit pour le droit à des activités adaptées.

Anton se battit pour le droit à communiquer, apprendre, évoluer.

Ce centre n’était, selon Anton rien d’autre qu’un bagne pour handicapés. Les pensionnaires travaillent dans une ferme et une pépinière. Le fruit de cette exploitation était vendu. Si l’intégration par le travail est une bonne chose, Anton répliquait que le seul but de ce centre était de maintenir la personne handicapée dans son rôle d’ouvrier bagnard, sans jamais tendre vers un projet éducatif adapté qui pourrait faire évoluer les pensionnaires.

Quentin, à son arrivée dans ce centre, ne savait pas communiquer. Il vivait sans sa bulle, dans son esprit embrumé par les médicaments.

Un jour, Anton eu une guitare entre les mains. Son frère sembla intrigué. Alors, Anton joua, ou plutôt il fit vibrer les cordes, car Anton n’était pas musicien.

Un miracle se produisit. Un miracle sous la forme d’un mot unique, magique, une porte ouverte à l’évolution : « Pâtissier ! ».

Quentin, sur le rythme saccadé des cordes répéta à plusieurs reprises : « Pâtissier, pâtissier, pâtissier ! ».

Quentin savait parler.

Anton contacta le centre, ses parents : Quentin SAVAIT parler !

Mais personne ne voulut entendre ses mots ; Quentin se devait de rester l’idiot du village, un idiot silencieux, sans histoire.

Anton ne baissa par les bras.

Il revint, encore et encore vers son frère avec sa guitare.

A « Pâtissier » succédèrent, à la vitesse de Quentin, la vitesse qui est la sienne, la vitesse qu’il a choisi, d’autres mots.

Anton, le frère en colère et Quentin, le frère handicapé, devinrent Anton et Quentin, la fratrie de musiciens.

Anton me parla d’encore bien des choses, de son projet d’enregistrer son frère, de son rêve de site Internet.

Hier soir, tout cela m’est revenu, alors j’ai googelé.

Le site Internet existe : http://www.antonetquentin.be/

Une radio a consacré une émission à  leur histoire, émission que vous pouvez écouter ci-dessous (laissez-vous porter par l'ambiance, le silence, les bruits, la lenteur de l'histoire):



« Les handicapés ont toujours à nous apprendre, patience, courage, ... intelligence » (Anton).

C’était un beau samedi… assis sur le sol, invisible dans la foule de Bruxelles.

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